top of page

Montmartre : Un peintre pas comme les autres

Au milieu du XIXè siècle, une petite auberge ouvre ses portes en bas de la rue des Saules, à Montmartre. Elle s'appelle Au rendez-vous des voleurs. Quelques années plus tard, elle devient Le cabaret des assassins. Pour illustrer l’endroit, des gravures d'assassins célèbres ornent ses murs. Tout un programme...


Le lapin à Gill

Une nouvelle propriétaire, vers 1875, demande à André Gill, un talentueux caricaturiste montmartrois et familier des lieux, de lui peindre une enseigne. Il choisira un lapin bondissant d'une casserole, car le rongeur était la spécialité culinaire de la gargote. Très vite, on rebaptisera l'auberge "Le lapin à Gill". Puis l'établissement changera de propriétaire...et de nom. L'auberge deviendra un café-concert et s'appellera pour quelque temps "A ma campagne". Et c'est là qu'un illustre personnage montmartrois entre en scène : Aristide Bruant rachète le café-concert en 1903, lui donne son nom définitif, "Le lapin agile" et en confie la gestion à Frédéric Gérard, dit "le père Frédé", une figure locale, forte en gueule qui, accompagné de son âne Lolo, fait office sur la Butte de marchand ambulant.

Le père Frédé

C'est lui qui donnera au Lapin agile son cachet, et en fera une véritable institution auprès de tous les artistes bohêmes de Montmartre. Les écrivains Max Jacob, Guillaume Apollinaire, André Salmon, Paul Fort, Mac Orlan, Francis Carco, Roland Dorgelès, les peintres Renoir, Utrillo, Modigliani et Picasso, parmi tant d'autres, s'y côtoient. Leurs chants et leurs rires contribuent à faire de ce repaire d'artistes un rendez-vous obligé de la bourgeoisie parisienne, qui vient très vite s'y encanailler entre amis. Car on y trouve de tout, au Lapin agile : des artistes, bien sûr, mais encore des anarchistes, des libertaires, des voyous (les fameux "apaches" de la Belle époque...) et des souteneurs, qui n'hésitent pas à se mêler aux clients.


Mais c'est aussi ici, qu'en réaction contre les libertés jugées excessives de l'art moderne, l'impressionnisme, puis le pointillisme et le cubisme, que Roland Dorgelès imagina un canular qui fit grand bruit.


Il exposa au Salon des Indépendants le tableau "Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique", signé d'un certain Boronali, maître italien de l'impressionnisme, promis à un avenir éblouissant. Les critiques ne tarissaient pas d'éloges sur ce génie méconnu et demandèrent à ce qu'il soit présenté au public. Quant aux journalistes, ils rebaptisèrent cette œuvre majeure "Coucher de soleil sur l'Adriatique", en contrepoint du célèbre « Impressions soleil levant » de Monet, œuvre qui donna involontairement son nom au mouvement impressionniste.


Boronali étant l'anagramme d'Aliboron, l'âne des fables de la Fontaine, vous commencez peut-être à deviner qui se cache derrière maître Boronali... Et c'est bien ce qui s'est passé ! Devant huissier, les joyeux compères du Lapin agile attachèrent un pinceau à la queue de l'âne, qu'ils trempaient dans un pot de peinture, en guidant plus ou moins la queue de l'animal.

Le résultat fut à la hauteur de ses attentes : Dorgelès, qui détestait l'art moderne de son temps, ridiculisa aux yeux du public les critiques d'art qui s'étaient extasiés devant l'œuvre de maître Boronali. Tous ces prétentieux et les admirateurs de ce barbouillage en prirent pour leur grade !


La toile, vendue 400 francs-or, se trouve actuellement exposée à l’espace culturel de Milly-la-Forêt (91). En 2016, cette toile fut présentée au Grand Palais de Paris dans le cadre de l'exposition Carambolages.

A l’époque, Dorgelès donne la somme à l’Orphelinat des Arts, maison fondée en 1880 qui accueille les enfants orphelins d’artistes. Des frondeurs au cœur d’or…


Merci à Paris le nez en l'Air pour ce partage 😊


bottom of page